Ce livre est un recueil de textes traitaient du croisement des humanités numériques et du féminisme intersectionnel.
Les humanités numériques étant un champ récent mélangeant plusieurs domaines (informatique, littératures, sciences humaines…) au point d’être difficile à cadrer (au sens d’être mis dans un cadre, mais aussi difficile à identifier), et le féminisme intersectionnel s’intéressant à la manière dont différentes discriminations s’articulent, l’assemblage des deux permet de traiter plusieurs aspects de la capacité des personnes dominées à se faire entendre, à se faire une place, et à disposer des outils dont elles ont besoin pour cela.
Si le livre traite du travail des personnes, par exemples les chercheurs et les chercheuses, dans le domaine des humanités numériques, c’est-à-dire utilisant des outils informatiques pour traiter des sujets des humanités, les parallèles sont très nets avec les personnes travaillant dans l’informatique et plus généralement toutes celles qui utilisent des outils informatiques.
À l’image des sujets dont il parle, il s’agit d’un ensemble de textes couvrant des sujets très différents mais dont ont voit bien qu’ils se recoupent et qui sont organisés autour de 4 thèmes : matérialité, valeurs, incarnation & affect. Les styles des contributions sont eux-mêmes très divers : de l’étude universitaire classique à des formes plus livres.
Les textes montrent très bien comment des questions apparemment techniques ont des conséquences sur les usages des différents outils. Les personnes en charge de ces décisions sont porteuses de biais dans leur vision du monde, et elles considèrent donc comme naturelles des choses qui ne le sont pas, et cela influe sur les outils qu’elles conçoivent.
[…] we can see a foundational assumption: there is no such thing as a “merely technical” design decision: technical systems are meaning systems and ideological systems, as far down as we are willing to look.
Ils nous rappellent que le monde est désordonné, et que, si définir des modèles et des catégories séparées permet d’être efficace, cela demande de simplifier et donc de supprimer une partie de la réalité ou une partie des possibles.
Un outil informatique peut agir comme un pouvoir politique, en décidant — parfois arbitrairement — quelles sont les catégories valides pour des individus, quitte à exclure ou à mutiler l’identité de ceux et de celles qui n’y correspondent pas.
Professionalism is environmental. Amateurism is anti-environmental. Professionalism merges the individual into patterns of total environment. Amateurism seeks the development of total awareness of the individual and the critical awareness of the groundrules of society. The amateur can afford to lose. The professional tends to classify and specialize, to accept uncritically the groundrules of the environment. The groundrules provided by the mass response of his colleagues serve as a pervasive environment of which he is contentedly and [sic] unaware. The “expert” is the man who stays put.
The Medium Is the Massage
Cela me rappelle à mes responsabilités en tant que personne qui conçoit des logiciels dans son travail mais aussi sur son temps libre à l’usage d’autres personnes : dans quelles mesures ces outils sont-ils libérateurs ou au contraire limitants ?
Avec l’informatique qui prend de plus en plus de place — nous devenons toutes et tous des cyborgs qui dépendent de ces outils — c’est une question qu’on ne peut plus ignorer.
Autrement dit on peut choisir — par facilité ou par privilège — de ne pas s’en préoccuper, mais on ne peut plus avoir l’excuse de ne pas savoir.
On parle de plus en plus de ce sujet dans le cadre de l’intelligence artificielle et des biais qu’elle renforce ou qu’elle masque, mais c’est toute l’informatique qu’il faut interroger.
This reading simultaneously situates digital humanities practitioners as responsible parties — designers and builders implicated in the design of future systems — and complicates that role of agency by suggesting that the ideological entailments of such systems may not be visible to their builders, and indeed that the design logics that feel most deeply natural and functional to one generation may be revealed as deeply problematic in the next.
Dans quelles mesures les technologies que j’utilise pour créer mes outils sont elles-mêmes un problème, même si elles paraissent adaptées ? Par exemple quelles sont les conséquences d’utiliser des outils développés par Amazon Facebook ou Uber, compte tenu de ce qu’on sait de ces entreprises ?
[Audre] Lorde has stated that “the master’s tools will never dismantle the master’s house” framing the question of tools through a metaphor to slave rebellions in a way that would discourage scholars from using tools created by oppressive systems.
Je ressors du livre avec beaucoup de questions et peu de réponses. J’ai l’impression de mieux comprendre les conséquences que peut avoir mon travail, et que la solution sera de tenter de prendre conscience de mes propres biais pour essayer de m’y prendre le moins mal possible.
Au delà des parallèles avec l’informatique, j’ai apprécié le livre sur son sujet central des humanités numériques, car c’est aussi un sujet qui m’intéresse, par exemple sur les outils qu’utilisent les chercheurs et les chercheuses ou le fonctionnement de la recherche elle-même, par exemple sur la question du financement.