Littérature: Ensemble des œuvres écrites auxquelles on reconnaît une finalité esthétique.
Selon cette définition, une partie importante de ce qui se fait en ce moment d’intéressant en littérature est publiée sous forme de jeux vidéo.
Je pense même que c’est désormais la majorité.
Si la plupart des jeux vidéo à gros budget ciblent plutôt une expérience proche du cinéma, d’autres relèvent de la littérature : fictions interactives, de visual novels, ou de jeux plus classiques.
Il s’agit du même type de segmentation qu’on trouve dans les livres, entre les ouvrages d’évasion et ceux qui ont une vocation plus littéraire.
La créativité sous forme de jeux vidéo est d’autant plus intéressante qu’on y trouve beaucoup de créateur·rice·s issu·e·s de minorités, qui s’emparent de ces outils pour parler de leurs expériences.
Pour beaucoup d’entre eux·elles, la littérature traditionnelle sous forme de livres et d’éditeurs relève du système patriarcal contre lequel iels sont obligé·e·s de lutter.
Plutôt que d’essayer de le combattre de l’intérieur de l’intérieur, ou de créer leurs propres structure tout en participant au même système, iels ont décidé d’aller faire de la littérature ailleurs.
Dans leurs productions, l’interactivité, en forçant le joueur à prendre des décisions, facilite le fait de s’identifier à un narrateur, même s’il est très différent.
Vous pouvez ainsi essayer un simulateur de coming-out, un autre de dépression, ou toutes les créations de Porpentine.
S’intéresser à la littérature et ne pas s’intéresser aux jeux vidéo, c’est donc se priver de tout un pan de ce qui se crée. C’est comme de ne lire que des livres écrits par des auteurs français.
Oui mais je n’ai pas l’habitude de jouer
Si, pour des raisons d’âge ou d’éducation, vous n’avez pas l’habitude de jouer, j’ai une bonne nouvelle pour vous : il n’est pas trop tard. Demandez autour de vous, ou trouvez des ressources en ligne.
Le plus important est d’avoir envie d’essayer, et d’accepter qu’au départ vous vous sentirez perdu face à des codes que vous ne maîtrisez pas.
Oui mais je n’en ai pas envie
Vous avez parfaitement le droit de n’aimer que lire des livres et de ne pas avoir envie de jouer à des jeux vidéo.
Se cantoner aux livres n’est pas critiquable à partir du moment où vous le faites en connaissance de cause, c’est-à-dire en assumant qu’en agissant ainsi, vous n’avez accès qu’à une partie de la littérature.
Et si vous êtes critique de littérature ?
Si vous êtes critique de littérature généraliste, la situation est un peu compliquée.
Le Monde des Livres a une position consistante avec son nom : il ne s’intéresse à la littérature que sous le prisme des livres. Il fait bien un peu semblant parfois de s’intéresser à la littérature non interactive publiée sur Internet, mais sa curiosité s’arrête là.
J’aimerai que les autres publications soient aussi cohérentes, et qu’elles arrêtent de penser et d’écrire qu’elles s’intéressent à “la littérature” alors que leur centre d’intérêt, ce sont les livres.
Dans mes rêves les plus fous, la critique littéraire se mettra bientôt à l’écoute de ce qui se fait d’autre, et se mettra à parler de jeux vidéo en les prenant au sérieux. Je suis assez pessimiste à ce sujet : cela demanderait une remise en cause, et probablement de brusquer une partie de leurs lecteur·rice·s les plus fidèles.
L’alternative est un destin très littéraire : s’éloigner du monde en se claquemurant dans une forteresse et attendre l’oubli, à eux de choisir.