En fin d’année dernière, un triplet de livres sont sortis ensemble sur les jeux vidéos et le genre.
Les trois présentent chacun des perspectives variées sur différents aspect des jeux vidéo : leur création, leur contenu et les manières dont on y joue. Il n’y a pas de lien directs entre les trois livres, mais l’ensemble des trois donne un vue d’ensemble sur le sujet en croisant les trois axes d’analyse.
En fonction de ses goûts, chaque personne devrait y trouver des choses à apprendre.
Dans mes réflexions sur les liens entre jeux video et développement logiciel, quelques chapitres m’ont semblé intéressants, soient dans ce qu’ils permettaient de mettre en lumière soit dans les parallèles à explorer qu’ils proposent.
Difficulté et masculinité
Jouer à des jeux difficiles, ou jouer à des jeux dans des modes de difficultés élevés peut être un marqueur de masculinité.
Des personnes vont ainsi choisir certains jeux pour y trouver une forme de validation, ce qui passe par mépris affiché vis à vis des autres manière de jouer, et tout particulièrement des jeux qui ne permettent pas de perdre.
Le lien m’a semblé clair avec certaines communautés qui utilisent des outils ou des langages réputés difficiles et qui s’en font une fierté.
La limite du parallèle est intéressant : les jeux vidéos sont un loisir, jouer à un jeu difficile est un moyen de tester ses limites que certaines personnes apprécient. Les personnes sont libres de choisir d’investir le temps nécessaire pour apprendre à le maîtriser.
À l’inverse, un outil de développement utilisé dans un cadre professionnel devrait être le plus facile à utiliser possible pour simplifier son apprentissage. Utiliser un outil difficile, quand des alternatives plus simples existent, est un choix où l’ego va directement à l’encontre de l’efficacité économique de l’entreprise.
At the Intersection of Difficulty and Masculinity: Crafting the Play Ethic par Nicholas A. Hanford
Les masculinités
La masculinité classique est la masculinité physique du sportif. L’archétype du geek, timide, qui s’amuse avec des jeux vidéo, au corps moins pis en avant et aux attitudes moins martiales, ne bénéficie pas du même statut. Il pouvait même être moqué comme n’étant pas “un vrai mec”.
L’e-sport est une zone frontière où les geeks peuvent tenter de s’approprier les attributs et donc le prestige des sportifs, s’ils maîtrisent les bons codes. Leur maîtrise technologique pouvant alors être valorisée, notamment à travers ses parallèles avec le monde militaire.
Le parallèle avec la “bro culture” d’une partie du milieu du développement est intéressante : ses membres peuvent chercher de la même manière des rapprochements avec la culture sportive et militaire pour obtenir leur validation en tant qu’hommes, même s’ils exercent un métier présentant des attributs féminins.
À l’inverse, les développeurs n’ayant pas ce positionnement seront moqués comme efféminés, pour tenter d’élargir la barrière entre les deux groupes.
Performing Neoliberal Masculinity: Reconfiguring Hegemonic Masculinity in Professional Gaming par Gerald Voorhees & Alexandra Orlando
Homoérotisme et mob programming
Les séances de jeu en réseau local sont l’occasion d’un certain type d’intimité et d’affection entre hommes qui n’est en principe pas compatible avec la représentation classique de la masculinité. Le même type de comportements qu’on peut observer dans des vestiaires de sport, ou à l’armée.
Ces différents lieux sont des zones limites, ce qui permet d’avoir ces comportements sans avoir à mettre en cause le discours officiel sur les hommes insensibles et virils.
Si le développement n’est historiquement pas une activité de groupe, le mob programming, introduit ce type de dispositif, où une équipe entière se plonge ensemble dans le même problème.
Je me demande si dans les équipes pratiquant cet exercice, le même type de mécanisme vont être à l’œuvre que ceux décris plus haut : des séances de développement à plusieurs permettent-elles aux membres de l’équipe d’exprimer des émotions ou une vulnérabilité qui n’aurait pas sa place ailleurs ?
Not So Straight Shooters: Queering the Cyborg Body in Masculinized Gaming par Nicholas Taylor & Shira Chess
Les origines et les adaptations
La grande majorité des jeux vidéos ne propose pas d’incarner un personnage queer, typiquement LGBT. Pour pouvoir se reconnaître dans les jeu, les joueurs et joueurs queer ont souvent recours au fait de réinterpréter l’histoire officielle du jeu.
Une personne trans pourra ainsi, dans son interprétation du jeu, transformer le héros ou l’héroïne en une personne trans.
Les personnes à l’origine de l’œuvre ont différentes réactions possibles à ce type de détournement : elles peuvent l’encourager par volonté d’ouvrir leur création au maximum de monde, ou à l’inverse le combattre, n’acceptant pas qu’on remette en cause leur création.
Je pense qu’il y a des parallèles à tracer avec les outils qu’on détourne de leur usage pour les adapter, par exemple dans le cadre de l’open source où il s’agit d’une manière de faire autorisée.
Certaines personnes ont des réactions très fortes lorsqu’elles estiment que leur travail a été détourné, notamment lorsqu’elles trouvent que ce qui en a été fait n’est pas légitime.
Cues for Queer Play: Carving a Possibility Space for LGBTQ Role-Play par Tanja Sihvonen & Jaakko Stenros
Le queer et l’excès
Ce dernier texte est consacré au queer comme quelque chose qui ne rentre pas dans une case, et qui à ce titre est parfois traité comme une abjection.
L’injonction de correspondre à une norme est quelque chose de très présent. Les personnes qui le rejettent, en refusant de jouer le jeu, s’exposent à des rejets en retour. Cela va de tenter de les remettre “à leur place”, jusqu’à leur refuser leur statut de personne.
En informatique je pense que le même type de mécanisme est à l’œuvre. Il existe certaines catégories, certains usages légitimes qui sont autorisés. Quand quelqu’un propose une approche plus exotique, on mettra en cause ses capacité ou on ne le prendre pas au sérieux.
Je me souviens par exemple quand Java était un langage réputé lent et réservé à des personnes d’un niveau technique faible, et qu’il a commencé à être utilisé pour des outils rapides et techniquement très avancés, par exemple des bases de données comme Cassandra.
En conclusion
Si j’étais familier de certaines des idées du livre consacré au féminisme, les deux autres m’ont fait découvrir de nombreux choses nouvelles.
J’espère que ces éléments vous ont permis de voir autrement certaines activités, et vous ont donné envie de lire ces textes.