Le blog d'Archiloque

Externalités négatives et déni plausible

Dans une organisation séparée en plusieurs équipes, il est courant de présenter ces équipes comme agissant grosso-modo comme des organisations clientes et/ou fournisseuses les unes des autres.

Que cela reste au niveau de la discussion pour mieux comprendre les logiques de fonctionnement interne, ou que cela soit matérialisé à l’aide de systèmes de facturation interne.

Or j’ai l’impression que deux concepts appliqués aux organisations ne sont pas souvent appliquées quand il s’agit de sous-équipes et qu’ils mériteraient de l’être.

Les externalités négatives

Le premier est celui d’externalité négative.

En économie une externalité est le fait pour un agent d’avoir un effet sur un autre agent sans contrepartie. Un externalité négative survient lorsqu’un agent a un effet négatif sur un autre agent.

Ainsi une entreprise dont l’activité crée de la pollution environnementale crée une externalité négative pour l’écosystème où elle est installée.

Si le système plus grand dans lequel l’agent s’insère, par exemple la société dans laquelle opère cette entreprise, juge que cette externalité négative est un problème, elle pourra tenter de la corriger.

Pour corriger une externalité, il faut faire en sorte que l’effet produit ait une contrepartie.

Dans le cas de la pollution, cela peut signifier par exemple la mise en place de normes à appliquer, et d’amendes en cas de non-application de ces normes.

Dans une organisation séparée en plusieurs équipes, il est normal que des externalité négatives existent, par exemple, quand deux équipes ont des intérêts différents.

Par exemple si une équipe A développe un logiciel veut se concentrer sur le fait de créer de nouvelles fonctionnalités, et une équipe B utilise ce logiciel et préférerait que ce logiciel n’évolue pas car elle est satisfaite de la version qu’elle utilise.

Si l’équipe A est libre de faire ses choix sans avoir à prendre en compte les besoins de l’équipe B on a affaire à une externalité négative.

Le déni plausible

Le deuxième concept très utile est celui du déni plausible.

En droit américain, le déni plausible est la capacité pour des personnes de nier avoir connaissance d’actions commises par d’autres individus faisait partie de la même organisation tant que cette connaissance n’est pas prouvée.

Si vous ou l’un de vos agents étiez capturés ou tués, le Département d’État nierait avoir eu connaissance de vos agissements. Bonne chance, Jim

Si on croise souvent l’idée dans des thrillers où des hommes et femmes politiques s’en servent pour ne pas être condamnés pour des actions de groupe secrets, ils est plus souvent utilisé par des dirigeant·e·s d’entreprise.

J’ai le choix de passer pour quelqu’un de malhonnête ou d’incompétent qui ne sait pas ce qui se passe dans ses usines. J’assume cette deuxième version.

— Arnaud Lagardère alors soupçonné de délit d'initié pour la vente d'une partie de ses parts dans l'industriel européen avant l'annonce des retards de l'Airbus A380

Dans une organisation où il est important de ne pas prendre de mauvaise décisions, ce qui, en pratique, signifie souvent qu’il est important qu’on ne puisse pas démontrer que vous avez pris une mauvaise décision en connaissance de cause, organiser le déni plausible peut être un très bon outil.

Dans l’exemple cité plus haut, si l’équipe A veut être tranquille, il faut qu’elle puisse ne pas être au courant des besoins de l’équipe B, ou au moins ne pas être officiellement au courant que ces besoins sont importants pour l’organisation à laquelle elles appartiennent toutes les deux.

Cela n’est souvent pas fait dans l’intention de nuire.

Par exemple imaginons que l’organisation donne des objectifs à l’équipe A, et que d’être à l’écoute de l’équipe B n’en fait pas partie, ou seulement de manière secondaire. Dans ce cas, si faire ce que demande l’équipe B diminue les chances que l’équipe A atteigne ses objectifs qui comptent le plus, il est tout à fait normal que l’équipe A fasse la sourde oreille aux demandes de B, et s’arrange pour ne pas être au courant afin d’éviter toute retombée négative après-coup.

Et donc ?

Pour éviter ces deux choses, les solutions ne sont pas simples.

La première étape est de savoir que ces problèmes existent, et qu’ils sont des conséquences normales du fait que dans une organisation d’une certaine taille, chaque équipe aura tendance à organiser son travail en fonction des choses pour lesquelles elle sera récompensée.

Ensuite il faut investir de l’énergie dans le fait d’identifier et de résoudre ce type de situation pour, comme dans le cas des entreprises qui polluent, mettre en place les rétroactions qui manquent.

Dans mon expérience c’est un problème souvent délicat, car les liens de rétroactions qui manquent sont souvent dans des sous-branches différentes.

En effet, plus deux équipes sont “éloignées” dans un sens organisationnel, plus il est difficile de faire en sorte que les besoin de l’une soient entendu de l’autre.

En l’absence d’une meilleure idée la direction peut toujours déclencher une réorganisation, ce qui est une très bonne manière de ne pas être accusée de ne pas traiter le problème.