Ce livre est une histoire des paradis capitalistes de ces cinquante dernières années : des endroits rêvés où la loi du marché règnerait, où chaque personne pourrait décider de financer ou pas la police, les pompiers ou l’armée et où souvent les décisions ne seraient pas prises démocratiquement mais en fonction des parts que la personne possède.
Ces idées ont séduits de nombreuses personnes qui, frustrées par lois des pays dans lesquelles elles vivaient, et souvent inspirées par des textes comme la grève d’Ayn Rand, ont voulu créer une nouvelle nation.
À long terme, cela devrait amener à une concurrence entre états pour attirer les personnes dont ils ont besoins comme les entreprises pour les personnes qu’elles emploient.
Raymond Craib, professeur d’histoire, fait le récit de plusieurs projets et le portrait de leurs participants principaux.
Dans le lot beaucoup d’héritiers, d’entrepreneurs et de théoriciens (généralement là pour attirer les donations). Le masculin est volontaire, les femmes n’étant jamais représentées dans les rôles.
Malheureusement pour ces personnes, lorsqu’il s’agit de mettre leur projet en œuvre, depuis la seconde guerre mondiale il n’existe plus de terre disponible.
Deux solutions sont alors envisagées.
La première est de construire une nation flottante, dans l’idée que s’installer suffisamment au large permet de ne pas être soumis aux lois des nations existantes. Les difficultés logistiques (stabilité de l’ensemble et l’approvisionnement) mettent en général rapidement fin à ces tentatives.
La seconde est de convaincre un pays existant de renoncer à une large part de sa souveraineté sur une partie de son territoire, sans contrepartie directe (car bien entendu pas question de reverser un impôt).
Sans surprise peu de pays sont intéressés, et quand les projets prennent forme, c’est toujours parce que leur interlocuteur ne dirige pas de manière légitime (qu’il s’agisse d’une dictature comme le Chili de Pinochet ou de personnes voulant s’appuyer sur le projet pour prendre le pouvoir).
Les tractations pour mettre sur pieds les projets sont l’occasion pour les promoteurs de devoir détailler leurs idées, et c’est alors qu’on voit l’envers du décor, le plus souvent sur deux aspects :
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Les personnes initiant le projet veulent en avoir la direction et ne pas prendre le risque de la perdre à un moment donné.
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Comment faire pour les tâches nécessaires, comme la maintenance des infrastructures, mais pas valorisées, et qui donc n’intéressent pas les personnes ayant intérêt à rejoindre le projet ? La solution souvent imaginée est de créer une classe de personnes ayant le droit de venir travailler sans être membres de plein droit du système.
Les deux réunis ont à chaque fois un fort parfum de néo-colonialisme, loin de l’idéal proclamé de départ.
J’ai beaucoup apprécié le livre : les différents rebondissements de chaque projets et les portraits sont suffisamment détaillés pour permettre de comprendre ce qui est en jeu sans être trop long, et j’ai trouvé l’anglais lisible (il ne s’agit pas d’un livre universitaire).
Sans être du même degré que les projets décrits dans le livre, certaines zones franches s’en rapprochent, et peuvent ainsi aller jusqu’à un système judiciaire à part pour certains délits. Cela m’a permis de comprendre certains aspects de ces endroits dont on mentionne souvent les bénéfices économiques attendus mais pas les renoncements à la souveraineté.
J’ai regretté que les parties théoriques ne soient pas plus longues, mais je comprends qu’il s’agit avant tout d’un travail historique, les notes devraient permettre d’approfondir la lecture.
Ayant lu la grève[1], je comprends la fascination qu’il peut exercer sur des personnes qui se voient comme exceptionnelles et qui se sentent brimées par le système. Les voir passer de la théorie à des tentatives de pratique, permet de bien comprendre leur conception du monde, comme quand le libre choix se transforme en oligarchie lorsqu’il faut s’assurer que les bonnes décisions soient prises.
Dans l’introduction, l’auteur oppose ces projets à ceux consistant à vouloir fonder de nouvelles nations avec pour objectif l’épanouissement du plus grand nombre, tels que ceux imaginés par d’anciens esclaves. C’est maintenant sur ceux là que j’ai envie de lire.